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Textes | Le deces de General Lohausen | 10.10.2002 |
Hommage au Général Baron Jordis von Lohausen (1907-2002)
Le Général Jordis von Lohausen, qui fut mon premier impulseur, n'est plus.
Il vient de décéder à l'âge de 95 ans. Je me souviendrai toujours de lui,
que j'avais rencontré lors d'un colloque dans le merveilleux château de
Sababurg en Hesse du Nord, dans le Pays des Contes de Grimm, en bordure de
la célèbre "Märchenstrasse". Nos préoccupations étaient les mêmes malgré les
nombreuses années de vie et d'expériences qui nous séparaient
irrémédiablement. En lisant ses derniers ouvrages, publiés par Wolfgang
Dvorak-Stocker, j'étais émerveillé par l'unité de sentiments qui demeurait
entre nous. Personne n'est éternel, la "Grande Faucheuse" nous attend tous,
mais, pour des hommes de la trempe et de la gentillesse de von Lohausen,
elle arrive toujours trop tôt. Qu'il sache cependant que nous continuerons à
Šuvrer dans son sens, que le grain qu'il a semé en nos jeunes têtes
continuera à germer, en dépit des oppositions de tous ordres. Jordis von
Lohausen a raisonné en termes de pérennité. Il nous a demandé de toujours
juger en termes d'histoire et de géographie, en tenant compte du temps et de
l'espace. Il s'est ainsi hissé au rang de vrai maître, qui ne raisonne pas
dans le vide. Nous resterons ses disciples et, armés de cette méthode, nous
aurons toujours raison, même si nous n'emportons pas tout de suite la
victoire sur les sots et les pervers (RS).
Au début du mois de septembre 2002, le Général Baron Jordis von Lohausen,
géopolitologue de premier plan, est décédé à Graz en Styrie, où il résidait.
Malgré son très grand âge, le Général était toujours actif, rédigeait des
articles et publiait des livres, que l'on peut considérer comme autant
d'incitations originales à une réflexion de fonds sur le destin historique
et géographique des peuples.
Né en 1907 dans le foyer d'un officier de cavalerie de l'Armée Impériale &
Royale austro-hongroise, Jordis von Lohausen amorce à son tour une carrière
d'officier en 1926, dans les rangs de l'armée de métier de la nouvelle
république autrichienne. En 1938, avec l'Anschluß, alors qu'il a le grade de
Capitaine, son unité est intégrée dans la Wehrmacht grande-allemande.
Pendant la seconde guerre mondiale, il participe aux campagnes de Pologne,
de France et de Libye. En 1942, avec le grade de Commandant (Major), il
devient le chef d'un régiment qui s'en va combattre en Russie. Entre deux
engagements sur le Front de l'Est, il passe six mois en mission diplomatique
auprès de l'ambassade d'Allemagne à Rome.
En 1947, Jordis von Lohausen entame une carrière de journaliste
radiophonique: il est tour à tour collaborateur libre d'une station
autrichienne, qui s'appelle "Alpenland", et de la radio de Brème en RFA. Il
crée des émissions culturelles, en présentant notamment les splendeurs des
villes d'art italiennes. En 1955, quand les occupants alliés quittent
l'Autriche et qu'une nouvelle armée voit le jour, il entre à son service
auprès du Ministère de la Défense Fédérale, ce qui l'amènera à devenir
attaché militaire autrichien dans les ambassades de Londres et de Paris.
Quand il quitte définitivement la carrière diplomatique, il se met à écrire
livres et articles de géopolitique. A l'âge de 72 ans, en 1979, il publie
ainsi son ouvrage principal "Mut zur Macht. Denken in Kontinenten", qui sera
ultérieurement traduit en plusieurs langues. Ce livre, malheureusement
épuisé en langue allemande aujourd'hui (ndlr: les éditions parisiennes "Le
Labyrinthe" ont encore un stock de la traduction française, intitulée "Les
empires et la puissance"; disponible en écrivant à : elements@labyrinthe.fr
; 19,67 Euro), mais deux autres titres, plus récents, parus dans les années
90, restent disponibles chez l'éditeur styrien Leopold Stocker à Graz.
Immédiatement après la seconde guerre mondiale, Jordis von Lohausen avait
rédigé un manuscrit qui ne paraîtra chez Leopold Stocker qu'en 1998, sous le
titre "Reiten für Rußland - Gespräche im Sattel" ("Chevaucher pour la Russie
- Conversations en selle"). L'auteur se remémore ses propres expériences et
ses conversations avec de jeunes officiers ‹pour la plupart des étudiants‹
pendant la grande marche en avant des troupes allemandes, hongroises et
roumaines en Ukraine et en Russie (entre Don et Kouban), alors
qu'inéluctablement s'annonçait la catastrophe de Stalingrad. Ces jeunes
gens évoquent les motifs réels de la guerre et sont unanimes à cultiver
l'espoir (de plus en plus ténu) que l'Allemagne reviendra rapidement aux
idéaux de la jeunesse de l'entre-deux-guerres en proclamant le droit à
l'auto-détermination des peuples oppressés par le Kremlin soviétisé, ce qui
ne pourra que favoriser les desseins du Reich. Le Commandeur du Régiment,
qui n'est pas un autre homme que l'auteur lui-même, donne à ses jeunes
camarades l'exemple de la monarchie austro-hongroise, qui, selon lui, était
un Empire (Reich) réussi qui se hissait au-dessus des peuples sans les
mettre au pas ni éradiquer leurs spécificités. La guerre en cours n'aura de
sens, pour le Commandeur, que si elle rapproche Russes et Allemands, qui
devront alors mettre leurs efforts en commun pour bâtir un Reich, sur le
modèle austro-hongrois, mais de dimensions beaucoup plus vastes, de la Mer
du Nord jusqu'à l'Océan Pacifique.
Les conversations de ces hommes, intellectuels et soldats, ont été
véritablement ciselées pour le lecteur par un virtuose de la parole, qui a
su faire donner tous ses talents dans les stations de radio où il a Šuvré de
1947 à 1955. Mais elles n'abordent pas que cette unité de destin virtuelle
entre Russes et Allemands: elles posent des questions, qui restent
essentielles, sur l'être fondamental des peuples, sur le sens de l'histoire,
sur l'avenir des cultures et des civilisations dans un monde qui se meut
sans cesse vers une unité artificielle, monotone, monochrome et
monolithique. Par la simplicité et la limpidité des phrases forgées par
Lohausen, ce livre éclaire chaque lecteur en profondeur et lui fait prendre
conscience des lignes de force à l'Šuvre en ce monde.
Tous les livres et articles de Lohausen se penchent sur ces facteurs
refoulés aujourd'hui que sont l'histoire, l'espace, les peuples et les
langues. Aujourd'hui, sous les effets pervers des idéologies dominantes et
des simplismes médiatiques, nous considérons les processus historiques comme
dépendants des intérêts des castes dominantes ou comme le résultat de la
volonté de chefs isolés, comme dépendants du développement de l'économie ou
de la technique ou comme les effets des luttes entre différents groupes
sociaux pour obtenir puissance ou influence. Cependant, l'histoire découle
inévitablement de facteurs plus profonds comme les diverses mentalités et
formes de vie des peuples, qui ont toujours été très importantes pour donner
l'impulsion première et fondamentale au développement des territoires; de
même, l'histoire se développe différemment si un territoire possède des
frontières naturelles comme des chaînes de montagne ou des fleuves ou, au
contraire, s'il a des frontières ouvertes et difficilement défendables, ce
qui contraint le peuple qui l'occupe à subir les attaques de ses voisins ou
à passer à l'attaque pour éviter de telles agressions (ndlr: dans "Mut zur
Macht" ou, en français, dans "Les empires et la puissance", Jordis von
Lohausen cite les exemples de la Prusse de Frédéric II au 18ième siècle et
de l'Etat d'Israël pendant la Guerre des Six Jours de juin 1967).
Dans un autre ouvrage récent, intitulé "Denken in Völker - Die Kraft von
Sprache und Raum in der Kultur- und Weltgeschichte" ("Penser en termes de
peuples - La puissance de la langue et de l'espace dans l'histoire des
civilisations et du monde"), Jordis von Lohausen étudie systématiquement ces
facteurs profonds et sous-jacents. Il nous dévoile les conditionnements
cachés de l'histoire, s'interroge sur le sens de termes comme "Reich",
"Etat", sur des qualificatifs comme "impérial", "national" ou "régional". Il
démontre que l'équation opérée par la Révolution française entre "Etat" et
"Nation" a provoqué, au 20ième siècle, dans l'espace centre-européen, des
guerres abominables et dévastatrices, des expulsions calamiteuses et des
génocides. En fin d'ouvrage, il tente de deviner le destin futur, en termes
de géopolitique, de l'Allemagne, de la Russie et des Etats-Unis.
Les travaux de Jordis von Lohausen demeureront capitaux pour tous ceux qui
veulent vraiment Šuvrer pour le bien de leur peuple et qui ne se proclament
pas "nationalistes" sans donner de contenu réel et concret à leur option de
base. Jordis von Lohausen a travaillé pour ceux qui voient l'enjeu, qui
savent que seul le maintien des langues, des cultures et des peuples
permettra un avenir des hommes dans la dignité. C'est en partant de telles
prémisses qu'il analyse l'avenir de la Russie, des peuples des Balkans et du
Proche-Orient, de même que les rapports entre l'Europe et les Etats-Unis
ainsi que l'avenir géopolitique de l'Allemagne.
Wolfgang DVORAK-STOCKER
(hommage rendu dans le journal "Zur Zeit", Vienne, n°39/2002).
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